Comment bien démarrer en écoconception numérique ?

Olivier GARRY,
Intervenant à GOBELINS Paris

Historien de formation, Olivier Garry a bifurqué au début des années 2000 pour devenir chef de projet numérique pour le service public. Il contribue notamment à la création du site Vie-Publique.fr, une plateforme gouvernementale permettant de comprendre le fonctionnement des institutions et des politiques publiques.

Il opère une reconversion en Design Thinking en 2015 et exerce auprès du Ministère de la Transition écologique et solidaire durant cinq ans, lui permettant d’entrevoir les problématiques de sobriété numérique avant de devenir enfin consultant indépendant.

   

Formé au RGAA et expert accessibilité numérique depuis 2008, il ajoute naturellement l’écoconception web à ses compétences en 2019. Il collabore désormais avec Temesis, cabinet leader sur l’accessibilité numérique et l’écoconception pour faire appliquer la loi sur l’accessibilité dans les entreprises au moyen du design thinking.

Qu’est-ce que l’écoconception web ou numérique ?

L’écoconception web est un ensemble de bonnes pratiques dont l’objectif est de permettre au numérique d’avoir un impact neutre ou positif sur la société civile, par le biais de la sobriété énergétique. Elle est un pan du développement durable.

Aujourd’hui, trois grandes sphères sous-tendent l’écoconception web :

• La partie matériel (hardware) : on interroge l’impact écologique et humain de la surconsommation d’appareils numériques (smartphones, ordinateurs, tablettes, montres connectées…)
• La partie infrastructure (réseau) : on se questionne sur ce qui permet à nos machines de fonctionner, à la consommation en eau et en électricité des serveurs mais aussi de l’intelligence artificielle
• La partie usages : on évalue le coût en ressources des usages du quotidien (réseaux sociaux, streaming, publication de photos ou vidéos…)

Si les deux premières parties sont plutôt bien comprises par les entreprises, optimiser la conception de ses services numériques pour gagner en sobriété paraît plus complexe à appréhender.

Pourtant, travailler sur le poids des images par exemple permet des gains considérables. Parce que nous utilisons tous des terminaux différents, nous savons qu’il n’est pas nécessaire de proposer une très haute définition sur le web. Les appareils moins performants ne permettent pas un rendu “sans perte”.

Partant de ce constat, il est possible d’optimiser les visuels suivant les supports et donc d’utiliser l’énergie à meilleur escient pour obtenir le même rendu, voire gagner en fluidité d’accès à l’information.

Souvent, l’écoconception numérique est perçue comme restrictive et peu créative. Comme pour l'accessibilité, c’est un apriori à déconstruire. Il n’existe pas de structure qui fonctionne sans contrainte. La sécurité informatique en est une par exemple. Les designers le savent d’ailleurs très bien et adaptent leurs méthodes de travail pour créer différemment.

Quelques exemples de leviers d’optimisation pour l’écoconception web ?

Les leviers en écoconception numérique sont nombreux et n’ont pas tous le même niveau de complexité.

Si l’optimisation du code peut être technique par exemple, il est possible, en amont de toute production, de s’interroger sur la façon dont on va diffuser de l’information. Est-ce qu’une vidéo est nécessaire ou une infographie ne suffirait-elle pas ?

Certaines polices sont également conçues pour être sobres en ne restituant pas l’ensemble des pixels. Ces “trous” sont indécelables à l'œil nu et ne se révèlent que sur de l’impression très grand format.

Le mode sombre, ou dark mode, est aussi un levier intéressant puisqu’il permet d’éteindre une partie des pixels de son ordinateur et d’économiser ainsi de l’énergie.

Pour illustrer concrètement le propos, mon partenaire de formation et moi-même sommes intervenus au sein d’une entreprise évoluant dans le haut de gamme et pour qui l’écoconception était un enjeu stratégique. Si les concepts des pages et des médias étaient déjà définis, nous avons pu nous interroger sur les méthodes d’affichage et proposer un chargement différé au déroulement de la page.

Pour une page produit très fréquentée sur une année, nous avons estimé à 1,3 tonnes de C02* l’économie réalisée rien qu’en optimisant le poids des images et leur chargement.

Mais il était capital que la démarche imprègne la culture de l’entreprise. En mobilisant l’intelligence collective et en permettant aux collaborateurs de se réapproprier l’écoconception web, ils en appliquent dorénavant les principes dès la phase de conception (hébergement, matériaux, sous-traitance, shootings produits…).

* Méthode d’analyse du Shift Project

Comment évalue-t-on l’impact environnemental d’un site web ou d’une application ?

Des chercheurs et des collectifs experts de l’écoconception web ont créé différentes règles de calcul intégrant pêle-mêle le poids des pages, l’infrastructure réseau ou encore la distance avec les serveurs. Ces règles permettent de connaître sa consommation énergétique et de calculer son empreinte carbone.

Si différentes règles se valent, l’important est de baser sa démarche sur un seul référentiel de calcul que l’on va conserver dans le temps et à partir duquel il va être possible de réaliser des comparaisons.

Quelle est la pédagogie choisie pour la formation à l’écoconception web de l’école ?

La formation à l’écoconception numérique de GOBELINS Paris se déroule en deux temps. Le premier temps est théorique. On revient sur les origines de la démarche puis on réalise un état des lieux en France en abordant la réglementation et en présentant les initiatives de différents collectifs de référence tels que Green IT.

Dans un second temps, on explore comment l’écoconception web peut être mise en application à partir du référentiel général d'écoconception de services numériques (RGESN) mais également de plugins directement embarqués dans des navigateurs web. Cela permet aux équipes de mesurer leurs performances et leur consommation et d’évaluer concrètement l’apport de la démarche à leur stratégie.

Si une organisation souhaite par la suite appliquer la démarche à l’ensemble de ses métiers, nous intervenons dans le cadre d’une formation intra-entreprise. Si la fonction achat n’a pas été sensibilisée à optimiser ses appels d’offres ou que les designers ou les responsables d’infrastructure ne sont pas mobilisés, l’impact de l’écoconception est bien moindre.

Plus prosaïquement, être compétent sur les sujets d’écoconception numérique va rapidement devenir indispensable puisque les entreprises exigent déjà de leurs prestataires qu’ils s’engagent. D’un point de vue RH, cela va enfin impacter le recrutement en permettant de séduire des profils plus jeunes et de les fidéliser. 

Des conseils pour une entreprise souhaitant démarrer une démarche d’écoconception numérique ?

Le plus difficile est de se lancer. Il faut donc démarrer en se fixant des objectifs à la fois simples à mettre en œuvre et permettant des gains importants rapidement. Il n’y a pas de nécessité de commencer par une démarche globale, on peut avancer pas à pas.

Il est aussi impératif que cette démarche soit commune et non le fait d’une seule personne chargée de se former et de restituer ses connaissances. Cette sensibilisation de l’ensemble des collaborateurs peut être réalisée dans le cadre d’ateliers d’intelligence collective peu chronophages mais au sein desquels on questionnera en profondeur ses méthodes de travail.

Comme pour l’accessibilité, l’objectif est de s’interroger sur les usages d’un maximum de personnes. Certains changements seront sûrement indispensables pour certains et de l’ordre du confort pour d’autres mais le principal est de changer son schéma de pensée pour plus d’universalité.