Formation continue

L’atelier d’écriture documentaire raconté par Sophie Artaud et trois anciens stagiaires

Dans le cadre de l’atelier intensif à l’écriture documentaire proposé par GOBELINS Paris, nous partons à la rencontre de celle qui l’anime depuis plusieurs années et de ceux qui ont pu participer à cette formation riche en enseignements, tant professionnels que personnels.

Atelier d’écriture documentaire de GOBELINS
Crédits Légende : Présentation de son film au jury par Alexandre Weiss, stagiaire de la deuxième promotion de l'atelier

Sophie Artaud, intervenante sur la formation

Je suis réalisatrice, artiste-auteure et j’accompagne l’écriture de films. Je viens des lettres classiques et des sciences politiques. J’ai toujours été fascinée par le mystère de la prise d’image et ses implications, d’un point de vue anthropologique et cinématographique. Pour moi, tout ce qui rend possible l’émergence d’une image, en le reliant à l’état de l’art et des techniques, reste un fait passionnant à interroger.

Je me consacre à l’écriture documentaire depuis de nombreuses années. Du côté du film, parfois aussi de la photographie. J’ai la conviction que l’on peut et doit élucider le monde à travers cet art de notre temps, et que ce questionnement du réel nous permet de comprendre et d’interroger ce qui nous arrive, subjectivement et collectivement.

Je suis entrée tôt en télévision, et après une expérience sur des programmes de direct, j’ai pris part au développement puis à la rédaction en chef de magazines culturels documentaires dédiés à la création.

Sophie Artaud

Cela m’a donné un cadre et de multiples expériences de terrain, du tournage jusqu’à la validation finale. J’ai dû m’ancrer dans le principe de réalité d’une diffusion pour le grand public. J’y ai appris la conduite d’un programme de flux, l’importance d’un choix de regard et de récit en amont du tournage.

J’ai pu ensuite cultiver ce regard documentaire aux ateliers Varan – et c’est pour moi une filiation essentielle - qui me relie à l’école du cinéma direct, à tout un champ de références qui m’inspirent continuellement.

J’ai aussi toujours alterné une recherche personnelle avec la réalisation, en abordant en parallèle des questions de mise en scène, par exemple, à travers la mise au plateau d’une parole documentaire. Et comme j’adore transmettre, je m’en suis forgée une pratique, à travers mes années d’enseignement en écoles d’art appliqué, de cinéma, de formation à l’image.

Dans cet atelier d’écriture, je m’attache à faire percevoir le lien, qui doit se tisser de manière solide, entre le projet de film et le fait de pouvoir en raconter l’histoire en image et en son.

En quoi l'écriture documentaire est-elle indispensable pour un film du réel ?

Je dirais qu’elle est salvatrice pour observer ce réel et pour le questionner… Le documentaire, c’est une co-création, le “réel" n'existe pas si on ne l’organise pas. L’écriture couvre et fixe la part intime et essentielle d’une intention de film, à travers un dossier de présentation. Celui-ci est systématiquement demandé parce que la chaîne de décision multiple pour rendre ce film possible s’aligne sur une prise de risque des diffuseurs.

C’est un exercice, et surtout, une compétence utile. Le scénario imaginé se nourrit de repérages, d’enquêtes, et d’intuition et demeure spéculatif. Mais c’est un outil auquel il est très rassurant de pouvoir revenir. On peut s’y référer pour ne pas se perdre une fois absorbé-e par un tournage, parfois déroutant. Il est cette interface entre notre vision du monde et ce que l’on peut en faire à travers un film.

Mais cette écriture coexiste aussi avec une approche moins théorique de la réalisation, elle la libère, permet de faire exister le monde dans le viseur, en se laissant guider par ce qu’il se passe, sans idées préconçues. Elle va nourrir l’intention construite de comprendre ce réel à travers le film, de donner le temps et la parole à l’autre. Pour moi, une part de la puissance documentaire réside dans cette double école…

Quel est l’objectif de cet atelier et comment se déroule-t-il ?

L’atelier d’écriture documentaire que j’anime à GOBELINS Paris est une immersion de trois semaines avec la perspective, pour les stagiaires, de pouvoir présenter un projet de film à un jury de professionnels, à l’issue de la formation. Cet atelier, crée en lien avec la pédagogie de GOBELINS, donne l'opportunité d'approfondir une intention et un univers d'auteur, et de comprendre les enjeux d'une écriture d'image en documentaire.

L’objectif est d’atteindre un équilibre entre subjectivité assumée et expérience du réel.

On y aborde également le dossier de présentation de son film en vérifiant qu’il propose bien une histoire ancrée dans des personnages, des lieux et des péripéties cohérentes. Toutes les idées ne deviennent pas des films mais l’atelier est là pour faciliter ce travail de passage d’une idée à la réalisation à travers trois moments.

La première semaine nous plonge dans la démarche documentaire en déjouant les idées reçues et en laissant derrière soi ce que l’on sait. On alterne visionnages critiques, analyses de séquences et un premier accompagnement personnel qui prépare, à travers des exercices pratiques, à la présentation à venir de son projet. Enfin, on s’essaie à une écriture filmique en profitant de la dynamique du groupe.

Dans la deuxième, on passe de l’inspiration à la pratique en développant son point de vue d’auteur et en traduisant ses idées sous forme visuelle et sonore. C’est à cette étape que l’on démarre l’écriture du dossier : notes d’intention et de réalisation, caractérisation des personnages et des lieux, définition de l’enjeu du film en quelques mots. C’est aussi le temps de partager le matériau que l’on a constitué autour de son projet : images fixes ou animées, sons, dessins, dispositifs.

La troisième semaine est un aboutissement. On affine et on boucle un premier dossier de présentation du film, de ses intentions, du récit et des enjeux narratifs. Il est temps de travailler à communiquer efficacement sur son projet et sur son univers d’auteur. On y présente son film à un jury professionnel de fin d’atelier qui donnera son point de vue argumenté et des pistes à suivre, avec le soutien pédagogique de la formatrice.

Pour résumer, l’atelier permet de passer d’une idée de film à un projet construit en profitant d’un accompagnement à chaque étape, et de la dynamique d’entraide et d’échange entre stagiaires.

C’est toujours une grande joie pour moi de découvrir de nouvelles histoires, des univers différents et ouverts à 360°, de voir les stagiaires réussir, d’apprendre d’eux, de voir naître leurs films. L’écriture documentaire sied à notre temps. Nous avons besoin de nous représenter nous-mêmes, de partager nos expériences, comme un patrimoine commun et universel de l’Humain. C’est ma conviction, en tout cas.

J’aimerai parfaire cet échange avec les mots d’un personnage de la trilogie de L'Île-aux-Coudres” de Michel Brault et Pierre Perrault : c’est bel et bien “Pour la suite du monde” que l’on fait des documentaires.

*Pour la suite du monde” est un film dressant le portrait des pêcheurs du Saint-Laurent dont la langue et les traditions sont vouées à disparaître (1962).

Atelier d’écriture documentaire

Échanges durant l’atelier d’écriture documentaire de GOBELINS Paris
Échange en fin d’atelier avec le jury, les réalisateurs et scénaristes Sylvia Guillet et Christian Sonderreger

Trois anciens stagiaires partagent leur expérience

Respectivement stagiaires en 2021, 2022 et 2023, Charlotte, Stenka et Stéphane ont accepté de partager leur expérience de l’atelier d’écriture documentaire avec les lecteurs et lectrices de GOBELINS Paris.

Charlotte Jean, promotion décembre 2021

Je suis journaliste en presse écrite et web, autrice et maintenant réalisatrice. J’ai une formation en histoire de l’art et je suis la cofondatrice du média Darwin Nutrition, dédié à l’alimentation.

J’ai choisi de suivre l’atelier car je souhaitais évoluer vers les métiers de l’image. J’ai initialement postulé au stage avec un projet de documentaire sur le monde des champignons, comme ressources du monde végétal, mais j’ai finalement développé un film bien plus personnel auquel je ne m’attendais pas.

L’atelier a révélé ce sur quoi j’avais vraiment envie de travailler, une légende de la forêt amazonienne, en me faisant découvrir le documentaire de création.

Charlotte Jean

Quels bénéfices professionnels et peut-être plus personnels avez-vous retirés de l’atelier ?

Étant complètement étrangère à cet univers, j’ai d’abord acquis une solide culture documentaire puisqu’on y analyse différents films de toutes les époques. Ma manière de penser a par ailleurs évolué puisque j’arrivais avec un projet journalistique un peu froid mais je me suis rapidement aperçue que le propos de la formation était au contraire de développer un sujet avec lequel on a une attache très personnelle.

Pour réaliser cette bascule, Sophie nous a demandé de réfléchir à un souvenir d’enfance fort. En tant que franco-péruvienne et ayant une maman amazonienne, j’ai été bercée par les légendes de la forêt depuis mon jeune âge. J’avais ainsi des souvenirs très précis liés à la sirène, une héroïne mythique des lagunes et des fleuves d'Amazonie.

Au bout de deux jours, j’ai décidé d’en faire un documentaire, soutenue par l’accompagnement empathique de Sophie et les échanges avec les autres stagiaires. Je ne m’attendais pas à partager autant avec des inconnus. L’atelier a créé des situations de rapprochement et de complicité précieuses dans le secteur de la création.

Depuis, j’ai tourné plusieurs courts documentaires dont une série de portraits de jeunes photographes européens pour Blind Magazine, co-réalisée avec Quentin Molinié.

En parallèle, je travaille toujours sur le projet Sirena en partenariat avec Neon Rouge Production. La Commission du Cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles nous a d’ailleurs attribué une aide à l’écriture. Après deux repérages en Amazonie, on devrait pouvoir partir en tournage l’année prochaine.

Aujourd'hui, je suis toujours en contact avec Sophie qui a un regard critique sur le projet. Sans l’atelier, je ne sais pas s’il aurait pu voir le jour.

En trois mots, comment définiriez-vous cet atelier de GOBELINS Paris ?

  • Empathie, qu’il s’agisse de Sophie ou des autres résidents et qui a été aussi vertueuse que prolifique
  • Libération puisque l’atelier pousse à explorer ses motivations et envies profondes. C’est challengeant et parfois éprouvant mais nécessaire
  • Professionnalisation car l’image de GOBELINS Paris m’a tout de suite donné confiance pour approcher des producteurs

Stenka Quillet, promotion décembre 2022

Je suis réalisatrice de reportages d’investigation et de documentaires pour la télévision française depuis de nombreuses années avec une pratique fondée sur l’objectivité et le croisement des faits. Or ce que propose Sophie dans cet atelier est à l’inverse de ma démarche professionnelle : "Ne pas informer mais questionner, ne pas montrer ou démontrer mais comprendre."

En tant que journaliste, j’ai beaucoup exploré l’impact des modèles agricoles sur le vivant. C’est d’ailleurs le sujet du projet personnel avec lequel je suis arrivée à l’atelier. Pour le mener à bien, j’avais besoin de prendre du temps pour moi et d’entrer dans le monde du documentaire d’auteur en m’autorisant à explorer ma subjectivité.

Je voulais comprendre pourquoi ces thématiques m’intéressent autant, le tout dans un cadre bienveillant et avec le soutien d’une professionnelle.

Stenka Quillet

Que vous a apporté l’atelier et qu’est-ce qui a été le plus impactant pour vous ?

La formation m’a permis d’assumer ma subjectivité et de la traduire plus subtilement. Elle m’a aussi offert un espace pour prendre de la hauteur avec mon histoire personnelle et me donner le temps de laisser émerger mon projet.

Au quotidien, je suis confrontée à l’urgence et à un volume de travail considérable alors que l’écriture documentaire requiert du silence. J’avais donc besoin de cet environnement pour aller à l’essentiel dans mon écriture. Sophie nous a accompagnés dans l’affinage de nos synopsis et de nos notes d’intention. C’était un vrai travail d’orfèvre avec le sentiment de tailler une pierre précieuse !

Le travail préparatoire au synopsis était également passionnant. S’il n’est pas forcément visible par la suite, c’est un sous-texte qui guide l’ensemble du documentaire. J’ai aussi particulièrement apprécié que la formatrice aborde l’apport historique du documentaire à la fiction en rappelant que celui-ci nourrit le cinéma depuis toujours, tant sur le fond que grâce aux formes narratives qu’il invente.

Enfin, j’ai adoré écouter les autres stagiaires parler de leur projet. Le groupe a agi comme un “effet miroir”, permettant de prendre du recul sur ses pratiques et son film et de se poser de nouvelles questions. Ensemble, nous avons créé un espace de travail riche de nos univers et de nos sensibilités, un cocon privilégié que nous avons préservé jusqu’au bout.

Depuis l’atelier, j’ai écrit un documentaire proche de mon projet et signé un livre chez Grasset auxquels le travail réalisé avec Sophie a clairement contribué. Quant à mon projet personnel, s’il n’a pas encore abouti faute de temps, il est désormais beaucoup plus concret et en moi.

En trois mots, comment définiriez-vous l’atelier ?

  • Richesse du contenu
  • Exhausteur de créativité
  • Confrontant à ses propres pratiques

Stéphane Frogeais, promotion mars 2023

Je suis auteur-réalisateur depuis 2001. J’ai été formé à l’ESRA Bretagne et ai choisi ce métier pour me spécialiser dans un domaine que je connaissais déjà, à savoir les milieux aquatiques et la pêche de loisir. J’ai ainsi réalisé plusieurs films pour les chaînes de télévision thématiques qui portent le nom de documentaires mais qui se rapprocheraient davantage du reportage.

Jusqu’ici, mes documentaires étaient formatés pour répondre aux attentes éditoriales des chaînes thématiques, ce qui laissait peu de place au développement d’un point de vue d’auteur.

Je suis venu à la formation avec la volonté d’écrire et réaliser des films moins thématiques et plus personnels. Parmi mes projets, il y avait un documentaire sur l’histoire des courses de BMX, un sujet encore non traité en France qui me tient à cœur, étant moi-même ancien pilote.

Stéphane Frogeais

Lors de l’atelier, j’ai compris l’importance d’oser rechercher son intention d’auteur et appris à la mettre en valeur pour en faire un véritable fil rouge du projet. J’ai d’ailleurs vraiment aimé le travail de Sophie sur les métaphores qui permettent de donner corps à l’histoire d’un documentaire.

J’ai également beaucoup apprécié la sincérité et le courage des autres stagiaires, portant pour certains un projet profond et avec une importante charge émotionnelle. Il était par ailleurs particulièrement intéressant de pouvoir confronter et tester nos points de vue respectifs ainsi que notre façon de travailler. Cela a contribué à l’émergence de nombreuses idées que Sophie nous a aidé à cadrer.

Enfin, j’ai été surpris de constater que le jury attendait un projet plutôt avancé en fin de stage, avec un rédactionnel bouclé et des personnages déjà rencontrés. J’étais venu à l’atelier seulement avec une idée de film pour travailler le fond du projet et creuser l’intention d’auteur tout d’abord (à la différence de ce que j’avais fait jusqu’à présent). Puis rencontrer les personnages potentiels dont les parcours et les personnalités répondraient à mes attentes dans un second temps. Je conseille donc aux futurs stagiaires de bien aborder cet aspect avec Sophie avant de démarrer l’atelier, dans l’éventualité où ils n’en seraient qu’au stade de l’idée.

Quels résultats professionnels retirez-vous de l'atelier d’écriture documentaire aujourd’hui ?

Grâce à la formation, j’ai désormais une meilleure maîtrise sur le développement du film en adéquation avec le point de vue, au stade de l’écriture. J’ai aussi amélioré mon esprit de synthèse pour ce type de projet et ma capacité à simplifier mon rédactionnel sans perdre l’âme du film.

Après l’atelier, j'ai rencontré les différents personnages avec de bons angles d’approche, pour pouvoir définir le rôle de chacun. J’ai ensuite réécrit plusieurs fois mon projet pour l’affiner et développer le rythme.

Pour terminer, j’ai déposé mon rédactionnel auprès de la région Bretagne pour obtenir une aide à l’écriture. Les lecteurs ont encouragé le projet et m'ont demandé de développer certains points avant de repasser en commission prochainement.

Pendant mes rencontres avec les personnages j’ai aussi fait la connaissance d’un Producteur passionné de BMX très intéressé par le projet. Se pose désormais la question des diffuseurs à qui proposer ce projet de documentaire de création…

En trois mots, comment définiriez-vous l’atelier ?

  • Expérience
  • Professionnalisme
  • Sympathie

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Bianca Rabascall

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Portrait Laetitia Denoyelle

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Actualité publiée le 24 novembre 2023